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Alasdair MacIntyre
Article d’Histoire des idées politiques,
par les étudiants de l’ISSEP
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Un ovni dans le monde moderne
Né en 1929 à Glasgow, Alasdair MacIntyre est un philosophe écossais qui s’est principalement intéressé aux questions d’éthique et de politique. Il étudia la philosophie à l’université Queen Mary à Londres puis à l’université de Manchester. Par la suite, il émigra aux Etats-Unis afin d’y enseigner la philosophie. Il fit de multiples pérégrinations entre les universités de Boston, de Duke, de Brandeis et de Vanderbilt ce qui lui donna la réputation d’être un intellectuel itinérant. Tout d’abord influencé par Marx et par quelques concepts de la New Left, MacIntyre s’est finalement converti au catholicisme.
Alasdair MacIntyre est un auteur atypique et complexe. Son approche philosophique est profonde et n’a eu de cesse d’évoluer. L’œuvre majeure du philosophe écossais s’intitule Après la Vertu [1]. Publié en 1981, cet ouvrage pourrait être une synthèse du développement de sa pensée. MacIntyre évoque entre autres l’hétérogénéité et la complexité des croyances, des coutumes, des concepts moraux et des pratiques à travers les différentes civilisations. Pour ce faire, l’auteur s’engage dans une approche pluridisciplinaire. Il s’intéresse particulièrement à l’histoire et à l’anthropologie qui permettent, selon lui, une analyse plus précise de la philosophie morale traditionnelle. Ses diverses observations marquent l’originalité de MacIntyre. Elles font de ce dernier l’une des figures incontournables de la philosophie morale au XXe siècle.
Les fondements de la philosophie morale
Selon Emile-Perreau-Saussine [2], MacIntyre a principalement une approche apolitique de la morale. Cet élément semble être un paradoxe au regard de la philosophie aristotélicienne à laquelle se réfère le philosophe écossais. En effet, la philosophie morale est difficilement séparable du politique dans son sens originel. Sa lecture du Politique d’Aristote se fait d’ailleurs principalement sous l’angle de l’éthique. Néanmoins, le Politique a vraisemblablement orienté MacIntyre vers d’autres concepts philosophiques ayant favorisés l’évolution de sa pensée associant une réflexion éthique et métapolitique. Alasdair MacIntyre a également lu avec intérêt l’Ethique à Nicomaque. Cette œuvre essentielle d’Aristote constitue un socle de réflexions sur les vertus. Selon MacIntyre, la vertu externe se distingue de la vertu interne. La vertu externe compose l’un des creusets du libéralisme sauvage incarné notamment par la figure de Benjamin Franklin. Pour ce dernier, le succès individuel prime sur le bien commun ce qui ébranle la morale traditionnelle et l’ordre social. À l’inverse de la vertu externe, MacIntyre distingue la vertu interne. Il parle davantage à son sujet de Bien interne. Cette idée pourrait contredire la volonté de puissance de Nietzsche où l’homme se fait l’égal d’un dieu. L’individu inspiré par Nietzsche s’éloigne ainsi de la morale traditionnelle. La vertu interne se rattache à la théorie des vertus d’Aristote structurée en trois éléments (le premier étant la conception de la nature humaine tel qu’elle est, le second est la conception des préceptes de l’éthique rationnelle et le troisième est la conception de la nature humaine telle qu’elle pourra être si elle réalisait son telos) [3]. Pour MacIntyre, la vertu interne doit s’ancrer au cœur de la pratique sociale. L’homme peut en effet développer ses capacités et prétendre à l’excellence sans pour autant être individualiste.
MacIntyre se montre également critique d’une frange de la philosophie allemande qu’il considère stérile voire périlleuse pour l’homme et les sociétés. Il forme un contrepoids à la philosophie morale de Kant et énonce plus largement une critique du dualisme et du rationalisme philosophique. Contempteur du relativisme moral, il établit une vive critique de Nietzsche, philosophe qui pousse l’idée du volontarisme des Lumières à son comble. La volonté de puissance nietzschéenne fige la morale et les vertus selon les envies et les limites que se fixe chaque individu. La volonté de puissance, perçue par MacIntyre comme individualiste, éloigne l’homme du bien commun.
MacIntyre, dans Après la vertu, se montre tout aussi critique de l’émotivisme qui n’est que « l’expression d’une préférence, d’une attitude ou d’un sentiment ». Issu de la philosophie éthique, l’émotivisme détermine les jugements moraux selon l’expression des émotions d’une personne. Cette approche philosophique est donc marquée par un relativisme moral.
Influences contemporaines et relations
Nous ne pourrions correctement saisir la pensée de MacIntyre en omettant de mentionner ses influences contemporaines. Sa philosophie s’inscrit parmi d’autres intellectuels, d’origine anglo-saxonne pour la plupart, de son époque. Les références de MacIntyre vont au-delà de la philosophie morale et politique des Grecs. Les auteurs contemporains jouent un rôle essentiel dans la condamnation de l’individu post-moderne et du libéralisme plus largement. Les écrits d’Elizabeth Anscombe spécialement ont eu une réelle ascendance sur les réflexions de MacIntyre.
Elizabeth Anscombe était proche de MacIntyre. Née à Limerick, en Irlande en 1919, cette philosophe anglaise, de dix ans son ainée, fut elle-même influencée par la philosophie ancienne et médiévale. Anscombe s’était spécialisée en philosophie morale, en sémiotique et en philosophie de l’action. Elle a accompagné un renouveau philosophique alternatif aux intellectuels influencés par le néo-marxisme ou le libéralisme. Elle présentait alors une voie originale dans le domaine de la philosophie. En 1958, elle publia un article intitulé Modern Moral Philosophy ayant profondément influencé l’université d’Oxford. Elle forgea le terme de « conséquentialisme » théorie qui prolonge et approfondit l’utilitarisme imaginée par des auteurs comme Jeremy Bentham ou John Stuart Mill au début du XIXe siècle. Ce courant intellectuel marqua particulièrement le monde anglo-saxon. L’idée est qu’une action donnée aura des conséquences positives ou négatives en fonction de sa nature. Dans la philosophie « conséquentialiste », on accorde donc plus d’importance aux résultats d’une action qu’à toutes autres considérations.
Que critique concrètement Alasdair MacIntyre ? MacIntyre réprouve les deux faces d’une même pièce que sont le libéralisme et le néo-marxisme. MacIntyre reproche au libéralisme son individualisme radical et son formalisme [3]. À l’exemple des « Communautariens », que nous évoquerons plus en détails après, le libéralisme oriente l’existence humaine. Il lui ôte toutes racines et détruit sa morale. L’homme n’est plus qu’un consommateur interchangeable dépouillé de sa tradition et de ses vertus.
Si MacIntyre se montre particulièrement critique du libéralisme, il se fait tout autant le contempteur du marxisme. Cet idéalisme politique et social n’est nullement antagoniste au libéralisme. De plus, le marxisme n’a pas foncièrement une pensée holiste de la société. MacIntyre se demande si le marxisme a un réel projet d’émancipation. N’est-il pas au contraire un asservissement des masses par un Etat totalitaire ? Dans sa critique du marxisme, MacIntyre constate plus largement l’effondrement de la philosophie progressiste. Que ce soit le scientisme, l’idéalisme allemand ou le socialisme en général, aucun de ces courants de pensée n’envisage une morale à l’homme. Tous ces courants sont en réalité des échecs. MacIntyre prend l’exemple de l’URSS qu’il perçoit comme un système d’exploitation qui organise un capitalisme étatique. Contextualisons dès à présent la période qu’observe le philosophe écossais.
Nous relevons dans le contexte de la guerre froide deux courants majeurs de la réflexion politique et intellectuelle : le néo-marxisme et le néo-libéralisme. Un marxisme revisité va constituer un nouveau modèle de philosophie par le biais des philosophes et sociologues français notamment, à compter des années 1960. Le libéralisme philosophique s’organise lui aussi. La Société du Mont Pèlerin, fondée en 1947 par Friedrich Hayek et Milton Friedman influence fortement les gouvernements du monde occidental. Ce think tank libéral, ayant notamment inspiré les économistes de l’école de Chicago par le biais de Friedman, n’est pas à négliger tant ses idées vont être diffuses. MacIntyre est contemporain de ces nouvelles idées qui selon lui portent atteinte aux fondements de la morale traditionnelle.
MacIntyre fait la critique des néo-marxistes occidentaux de la seconde moitié du XXe siècle. Selon lui, le néo-marxisme est une imposture. En effet, il relève certaines imprécisions en matière morale et sociale du communisme. L’éthique marxiste n’est que trop peu existante ou crédible aux yeux de MacIntyre. Les néo-marxistes adoptent un projet social moderne et formel qui n’est qu’artificiel. MacIntyre s’interroge de la manière dont les hommes s’associent entre eux en société.
MacIntyre, un penseur phare de la philosophie « communautarienne » ?
Alasdair MacIntyre est-il réellement une figure notable de l’école dite « communautarienne » ? Ce courant de pensée informel voit le jour au début des années 1970. Il regroupe divers auteurs tels que Michael Sandel, Charles Taylor et Michael Walzer entre autres [5]. Bien qu’il soit communément apparenté aux « communautariens », MacIntye a souvent rejeté cette étiquette. Il n’empêche qu’il demeure associé à Charles Taylor, philosophe d’origine canadienne, représentatif de ce courant philosophique. Le « communautarisme » se rattache à Wittgenstein qui se faisait critique de l’individualisme méthodologique, du dualisme cartésien et du mythe de l’intériorité entre autres . Les deux auteurs sont pourtant antagonistes. Charles Taylor, se revendiquant quant à lui de cette école de pensée, se rattache davantage au culturalisme qu’à la tradition et collabora notamment à la revue d’inspiration New Left, Universities and Left Review. MacIntyre, par l’intermédiaire de références à Marx et à Foucault, développe une approche « communautarienne » plus sombre. Il fait une critique radicale des Lumières et de la liberté négative alors que Charles Taylor a une approche plus moderne du « communautarisme ». À l’inverse, Pour MacIntyre, il n’y a alors plus d’autorité et plus de rationalité pratique. Contrairement à Taylor qui fait l’éloge du multiculturalisme, MacIntyre met l’accent sur la relation sociale traditionnelle en proie au libéralisme sauvage.
L’essentiel des communautariens ont été inspiré par une part de la spiritualité chrétienne. Quelques-uns des auteurs de ce courant de pensée se sont convertis au catholicisme comme Stanley Hauerwas, Rod Dreher ou Alasdair MacIntyre. Tous aspirent à fuir le monde moderne libéral en revenant aux sources de la communauté humaine. La communauté est une alcôve naturelle dans un monde jugé hostile et dangereux. Cette communauté se fonde sur la tradition et témoigne d’une volonté de réenracinement des individus en perte de repères et de racines. La communauté est un système d’organisation social fondé sur la relation entre les personnes. On comprend davantage l’influence d’Aristote sur ce courant intellectuel concernant les relations sociales.
Que retenir de cet auteur ? Alasdair MacIntyre est un penseur original et non-conformiste. Il a repensé un pan important de la philosophie morale du XXe siècle coincée entre le libéralisme et le communisme. MacIntyre a participé à un renouvellement philosophique pouvant se dégager de l’emprise matérialiste propre à son époque. Il a accordé une importance réelle à la dimension spirituelle dont l’homme a besoin afin de s’émanciper du poids que le monde moderne exerce sur lui. L’homme moderne est un être hors-sol devenu simple consommateur. Il est la proie de la société libérale et de consommation. La solution serait qu’il se réenracine au sein d’une communauté naturelle et traditionnelle. MacIntyre prouve, par ses idées originales, qu’il est un être à part, un véritable ovni au sein du monde moderne.
[1] MacIntyre (A.), Après la vertu. Etude de théorie morale, Paris, PUF (Quadrige), (1ère éd. 1981), 1997.
[2] Perreau-Saussine (E.), Alasdair Macintyre : Une biographie intellectuelle, Paris, PUF (coll. Léviathan), 2005
[3] https://philitt.fr/2013/11/10/alasdair-macintyre-autopsie-dune-tradition-des-vertus/
[4] Alfredo Gomez-Muller, Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique, Paris, La Découverte, 2001.
[5] Jacques Bouveresse, Le mythe de l’intériorité. Expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein, Paris, Minuit, 1976.
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Pierre RAMIER,
étudiant à l’ISSEP
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