Démocratie ou hanounacratie ?
Ce mouvement des gilets jaunes est une formidable occasion : celle de nous interroger sur les fondations de notre vie commune. Derrière les commentaires superficiels de ceux qui sont arrimés au temps médiatique, nous devons nous interroger sur les causes structurelles qui ont permis l’émergence d’une telle contestation. Car si les gilets jaunes sont un symptôme, c’est bien qu’il existe une maladie française. Décrypter ce phénomène à travers une grille de lecture économique, sociale ou territoriale semble insuffisant. Si ces sujets sont bien réels, la question institutionnelle apparaît plus fondamentale, puisqu’elle a une incidence sur toutes les autres. Ce n’est pas pour rien que ce mouvement a progressivement muté d’une forme de jacquerie fiscale vers des revendications d’ordre démocratique dont le RIC, référendum d’initiative citoyenne, est le marqueur principal. Cette crise politique est la conséquence d’un pouvoir devenu totalement illégitime. Nous avons aujourd’hui le président le plus mal élu de la Vème République, une majorité parlementaire obtenue avec moins de 50% de participation. Nos députés sont moins représentatifs que nos conseillers régionaux élus en 2015 ! L’abstention atteint des records. Ce déficit de représentativité n’est pas nouveau mais atteint son apogée sous la Macronie.
La fin de l’oligarchie dissimulée
Le régime et la pratique institutionnelle de la Ve République des années 2000 ont favorisé un régime hybride que nous pourrions qualifier d’oligarchie dissimulée. Le jeu électoral a permis la sur-représentation de certains groupes sociaux dans les assemblées, organisé l’alternance des partis traditionnels, marginalisé de grands partis d’opposition, effacé le vote blanc. Si l’on ajoute à cela le décalage entre les programmes de campagne et les actions menées au gouvernement, ce système a assuré la continuité idéologique d’un pouvoir qui pour changer de visage ne changeait jamais de doctrine. Certains ne manquent pas de voir derrière cette démocratie hypocrite une forme de gouvernement idéal, une « aristocratie des talents » comme la qualifie Thomas Jefferson.
Seulement les « talents » de cette élite censée être plus avisée que nous pour répondre aux défis d’un monde complexe sont manifestement insuffisants. Leurs résultats politiques pèchent sur tous les plans et rendent cette oligarchie dissimulée de plus en plus intolérable. Le système – entendu comme le consensus idéologique d’une grande partie des dirigeants politiques, des grands décideurs économiques et des médias – vacille sous les coups de boutoir de ceux qui ne veulent plus tolérer un mécanisme démocratique confiscatoire dont ils ne tirent aucun bénéfice.
L’émergence de l’hanounacratie
Le système gouverne mal mais se défend bien : aussi a t-il décidé d’utiliser le talent que personne ne lui conteste, la communication. L’oligarchie dissimulée court derrière une légitimité perdue en organisant un grand débat dont elle annonce d’emblée qu’il ne le fera pas changer de cap et qu’il ne fera pas l’objet d’un référendum. La messe est dite. Mais pas l’élection européenne !
Certains journalistes qui se pâment devant ce grand débat qui « passionnerait » les Français n’ont pas de mots suffisamment glorieux pour qualifier les prestations interminables du chef de l’État. Mais ils se posent rarement la question de l’incongruité de la démarche présidentielle. Passons sur le fait que le gouvernement ait volontairement écarté la Commission nationale du débat public de l’organisation afin de contrôler à la fois les questions posées, la collecte et le traitement des réponses ; passons sur le fait qu’il ne s’agisse pas d’un débat mais d’un jeu de questions-réponses ; passons sur le fait que le président sélectionne rigoureusement ses « débatteurs » et connaisse la plupart des questions à l’avance ; passons encore sur le fait qu’il dispose la foule en cercle autour de lui comme le seraient des supporters et non des contradicteurs.
Que restera-t-il de ce débat ?
Ce simulacre de débat est un dévoiement complet de nos institutions. L’échange sur un projet de société, qui doit avoir lieu avec les Français, a un nom : il s’appelle élection. Ce sont les élections qui permettent d’encadrer et de trancher le débat. Or, il n’y a pas de réelle crise de l’idée démocratique : 89% des Français pensent que la démocratie est toujours le meilleur moyen de gouverner un pays. « La tentation totalitaire » dont on accuse souvent « les populistes » français n’existe pas. Il existe une crise de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. La concorde est brisée entre un peuple et son élite qui ne respecte pas la confiance qui lui a été accordée. Une élite de plus en plus homogène qui capte le pouvoir au détriment de la nation. Le populisme du peuple est une réponse à l’élitisme des élites. Ce pouvoir creuse sa tombe en imaginant que la contestation des Français pourra être calmée en leur accordant un débat au paperboard dans une émission de divertissement ; en transformant leur vote en posts ou en tweets ; en faisant de la politique une franche rigolade. C’est une illusion : l’oligarchie ne sera pas sauvée par l’hanounacratie.
Marion Maréchal,
Directrice générale de l’ISSEP