Pascal Gauchon,
Editeur, géopolitologue et membre du conseil scientifique de l’ISSEP.
Après les élections de mi-mandat, où vont les Etats-Unis ?
Alors que les Pères fondateurs des États-Unis ont rédigé une Constitution fondée sur la séparation stricte des pouvoirs, la scission du législatif entre démocrates et conservateurs peut-elle engendrer un dysfonctionnement des institutions américaines ?
Ce n’est pas la question. Il est fréquent que l’une de chambres soit tenue par un parti et la seconde par un autre.
Le problème est autre : le système américain repose sur sa capacité à générer des consensus. Avec la radicalisation des partis, le consensus devient plus difficile et la vie politique risque d’être paralysée.
A l’issu de ces élections, l’aile gauche du Parti démocrate, incarnée par Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, respectivement réélu au Sénat et élue à la Chambre, semble se renforcer. Va-t-elle continuer à s’imposer dans le paysage politique américain ? Pourrait-elle à terme « Trumper » le parti démocrate ou même en fonder un nouveau qui prendrait sa place, comme les républicains l’ont fait avec le Parti Whig au XIXème siècle ?
Précisons que le système électoral pousse au bipartisme. Une scission chez les démocrates est peu probable car suicidaire, il faudrait que les radicaux prennent en main le parti. Je n’y crois pas, du moins à court ou moyen terme.
La gauche radicale prendra sans doute plus d’importance, elle profite de la montée de certaines de ses idées chez les jeunes et les femmes. Pourtant cette gauche du parti démocrate a obtenu des résultats un peu décevants aux élections de midterm. Plusieurs de ses figures emblématiques ont été battues, parfois de justesse comme Stacey Abrams en Géorgie. Le parti démocrate est moins renouvelé qu’on le pensait. Ce fait ne devrait pas encourager les instances du parti démocrate à faire une place considérable aux radicaux. Je pense même que ce sera un problème pour lui lors des prochaines élections ; une place trop grande accordée à des candidats qui se réclament du socialisme peut choquer une partie de l’électorat modéré.
Par ailleurs pour « trumper » il faut un « Trump ». Je ne vois pas de personnalité charismatique dans la gauche démocrate pour jouer ce rôle. Lors des présidentielles, elle sera obligée de se rallier à un candidat du centre gauche, peut-être Beto O’Rourke qui a été battu au Texas, une sorte de Trudeau d’El Paso.
Dans son discours de Varsovie en août 2017, le président américain a expliqué que son pays partageait avec l’Europe « la culture, la foi et la tradition » comme valeurs communes. Il semble ainsi délaisser l’universalisme et la défense des libertés qui étaient jusqu’alors les valeurs défendues par l’Occident. Est-ce le cas ?
Ce discours est en effet important. Il faut d’abord l’interpréter dans le cadre des relations entre les Etats-Unis et l’Europe. Ne soyons pas naïfs, les Américains cherchent à attiser les divisions de l’Europe car ils ne souhaitent pas vraiment son unité et encore moins son autonomie. Déjà Donald Rumsfeld, ancien secrétaire à la Défense, opposait la « nouvelle Europe » à l’ancienne. La nouvelle Europe rassemblait selon lui les pays de l’Est : ils avaient goûté au communisme et se montraient donc plus libéraux que les pays de l’Ouest, ils avaient le sentiment d’avoir été libérés de la domination soviétique grâce à la fermeté des Etats-Unis et en particulier de Reagan, ils partageaient avec ce pays les mêmes valeurs religieuses alors que les autres pays européens semblent de plus en plus déchristianisés. La manœuvre n’est donc pas nouvelle : jouer l’Est contre l’Ouest.
Par ailleurs l’un des combats que les Etats-Unis assument à l’échelle mondiale, depuis longtemps, est la défense de la liberté religieuse. La déclaration de Trump est en accord avec l’une des missions que les Etats-Unis se sont données.
Là où Trump se démarque de l’universalisme traditionnel, c’est par la priorité qu’il accorde aux intérêts américains et par son souverainisme. Ce dernier point le rapproche aussi des pays d’Europe centrale et orientale, réticents à une intégration européenne accrue.
Le fait que le Sénat soit trumpiste, selon Jean-Éric Branaa, permettra-t-il à Trump de réengager une politique d’apaisement avec Poutine, comme il comptait le faire en 2016 et avait commencé en partie à Helsinki en juillet dernier ?
Trump s’est engagé très vigoureusement dans la campagne de midterm, il a multiplié les meetings dans les Etats où le scrutin s’annonçait serré, bien des sénateurs républicains lui doivent donc leur succès. Branaa voit juste en parlant d’un Sénat trumpiste. Pour l’instant du moins car il s’agit en partie de « ralliés » au trumpisme : ils le seront tant que Trump sera fort.
Cela dit, le problème n’est pas le Sénat, mais l’Etat profond qui relance régulièrement les accusations de collusion entre Trump et la Russie. Et cela ne risque pas de se calmer, car la chambre des Représentants démocrate a le pouvoir de lancer des enquêtes. Trump n’aura donc pas les mains beaucoup plus libres qu’auparavant.
Par ailleurs que veut vraiment Trump ? Il appelait à un rapprochement avec la Russie pour contrer l’Etat islamique. Ce n’est plus le problème. Sur les principaux dossiers du Proche-Orient, les intérêts de Washington et de Moscou divergent. Et que peut-il obtenir de Poutine ? Restent bien sûr les relations avec la Chine, il serait de l’intérêt des Etats-Unis d’introduire un coin entre Moscou et Pékin. Pour l’instant Washington ne donne pas l’impression de jouer cette carte. Du coup je ne vois pas pourquoi il se « compromettrait » avec lui au risque de donner des arguments à ses adversaires.
Quel est le positionnement de la politique étrangère de Trump par rapport à l’article « Pull Back » de Barry R. Posen qui affirme que l’interventionnisme droit-de-l’hommiste américain serait contre-productif ?
L’article de Barry Posen critique l’interventionnisme tous azimuts des Etats-Unis, pas spécialement sa dimension droit-de-l’hommiste.
Trump ne s’interdit pas d’intervenir à l’étranger, il le dit et le fait parfois – de façon modeste jusqu’à présent comme en Syrie. Mais il est vrai qu’il privilégie le redressement interne qui passe, d’après lui, par l’économie. S’il y a interventionnisme, il passe en priorité par les pressions économiques sur les partenaires des Etats-Unis, les taxes protectionnistes ou la renégociation des accords commerciaux. Ce qui n’empêche pas de se tenir prêt à intervenir militairement comme le démontre l’augmentation du budget militaire. Mais Trump évitera ce type d’intervention, il préfère manifestement la pression, y compris par des déclarations tonitruantes. Il a confiance dans son Art of Deal, pour reprendre le titre de son ouvrage, il se croit un habile négociateur capable d’alterner postures furieuses et agressives, messages rassurants et capacité à élaborer des compromis. Jusqu’à présent, il n’a pas trop mal réussi. Mais il ne faudrait pas que sa confiance en lui devienne excessive, car « ceux que veut perdre Jupiter, il les rend fou ».
Guillaume et Antoine,
étudiants de l’ISSEP